16 janvier 2017

Tout (ou presque) sur Christophe Colomb


Christophe Colomb.
Ils étaient 87. Un an de vivres dans les cales. Et l’aventure comme seul moteur. Le 3 août 1492 au matin, trois caravelles quittent le port de Palos de la Frontera, à Huelva, dans le sud de l’Espagne. A leur tête, Christophe Colomb, la quarantaine, qui voit là s’exaucer le rêve de toute une vie.
Pétri de lectures classiques, la tête pleine des mythes nés des récits de Marco Polo, Colomb sait que la Terre est ronde et il entend rejoindre les Indes, l’Asie, en filant droit vers l’ouest. Direction : Cipango (le Japon), Cathay (la Chine) et leurs richesses infinies. Voilà plus de quinze ans que Colomb s’échine à convaincre de la pertinence de son projet. On imagine l’excitation qui est la sienne, alors.

Colomb ment sur les distances parcourues pour ne pas effrayer ses marins

Les trois caravelles.
L’histoire est connue. Mais elle a été lissée, améliorée, par les générations successives. Abîmée, aussi. Les massacres, l’esclavage… Tout cela est loin, encore, en ce 3 août. La seule certitude, ce sont les Canaries. Après… Ce sera l’inconnu.
On a la Nina, quatre mâts, 60 tonneaux, des voiles triangulaires et pour elle son agilité à se mouvoir sur les flots. Puis la Pinta, un poil plus grande, des voiles carrées, la plus rapide. Et la Santa-Maria, difficile à manœuvrer avec ses 120 tonneaux. Ces trois navires, après une escale aux Canaries, où il a fallu réparer le gouvernail de la Pinta – ça commence bien ! – perdent de vue la terre le 9 septembre.
Très vite, l’équipage s’inquiète. On va tomber dans le vide, être mangé par les monstres marins, buter contre les grandes barrières de feux qui, c’est bien connu, bordent les limites de la Terre… Colomb, pour calmer les esprits, ment régulièrement sur les distances parcourues. A la baisse. Quelques lieues enlevées tous les jours au décompte officiel… A une époque où l’on ne voyage qu’à la boussole et au quadrant, c’est très faisable.
L’ennui, c’est que s’il peut tricher sur le chemin, il ne le peut pas sur les jours qui passent. Les marins, impatients, lorgnent tous ces petits signes repérés sur la mer. Là, des herbes qui flottent. Ici, des bouts de bois. Dans le ciel, des oiseaux. Autant d’indices tendant à prouver que le rivage n’est pas loin. Mais autant de signes déçus, à chaque fois. Ces fausses joies accumulées rendent tout ce beau monde nerveux. Ça complote, grogne contre Colomb, ce fou idéaliste qui mène les bateaux au désastre, forcément.

Rodrigo de Triana est la premier,
dans la nuit du 11 au 12 octobre 1492,
à apercevoir la terre.
« Terre ! Terre ! », dans la nuit du 11 au 12 octobre 1492

Le 8 octobre… non rien, juste un canard. Mais, dans la nuit du 11 au 12, enfin, Rodrigo de Triana entre à jamais dans la postérité en étant le premier à crier « terre ». La flottille accoste aux Bahamas, sur l’actuelle île Watling (San Salvador). Pas question, pour autant, de s’y attarder. « Je ne veux pas perdre de temps et voir si je peux toucher Cipango », écrit Colomb.
Les trois caravelles poursuivent donc leur route, d’îles en îles, nombreuses dans la région. Souvent, des indigènes se montrent sur les plages. Leur premier réflexe est de fuir. Le second est de se laisser saisir par la curiosité, l’adoration… Ces hommes blancs, barbus, montés sur ces maisons flottantes… Ces sont forcément des dieux, tombés du Ciel… Les pauvres, s’ils savaient.
On en voit, plus audacieux que d’autres, venir en canoë aborder ces êtres étranges. Ils sont « nus comme leur mère les a faits », ainsi que les décrit Colomb. Ils sont pacifiques, curieux de tout, s’enthousiasment pour le moindre troc : des petits morceaux de vaisselle ou de verres cassés, contre du coton, des perroquets multicolores. La fascination est réciproque, mais la force est du côté des Européens. Colomb demande expressément à ce qu’on respecte les « Indiens ». A terre, quand avec ses hommes il visite les villages désertés, il veille à ce que rien ne soit volé, ni même déplacé. L’Europe découvre alors le hamac – on ne remerciera jamais assez ces Amérindiens pour cette invention magique.

La Navidad comme premier fort, en Haïti
Cathédrale, actuelle, de Cap Haïtien, où fut fondé le premier
fort, La Navidad.

Le 28 octobre, Colomb débarque à Cuba. Il pense avoir touché le continent. La Chine, si fameuse Chine dont parlait Marco Polo… Il n’en démordra pas avant longtemps : ici, c’est l’Asie. Comment imaginer qu’il puisse s’agir d’un nouveau monde, un vrai… Quelques éclaireurs sont envoyés à l’intérieur des terres. Ils en reviennent avec des récits fabuleux – des villages de près de 1000 habitants, des contacts toujours cordiaux, eux qui sont accueillis comme des dieux… Mais pas d’or, rien de bien précieux. C’est ennuyeux. On est là pour ça, quand même, faudrait voir à ne pas l’oublier. La tension monte, parmi les Européens. Pinzon, la capitaine de la Pinta, s’impatiente. Il prend ses distances avec Colomb, sur la Santa-Maria, et s’égare fort opportunément. De l’or, vite, de l’or.
Puis, le 5 décembre 1492, voilà Haïti (Hispaniola). Les mêmes jeux. La fuite des autochtones, d’abord. Puis les échanges de babioles. « Ils n’ont pas d’armes, sont tous nus, n’ont pas le moindre génie pour le combat et sont si peureux qu’à mille ils n’atteindraient pas trois des nôtres », remarque Colomb. Il rajoute juste après une phrase qui, a posteriori, donne quelques sueurs froides : « Ils sont donc propres à être commandés et à ce qu’on les fasse travailler, semer et mener tout autre travaux qui seraient nécessaires. » Ça rigole moins, du coup, hein ?
Le soir de Noël, la Santa-Maria s’échoue. De cet accident naît le premier établissement européen du « nouveau monde », La Navidad, aujourd’hui non loin de cap-Haïtien, en Haïti.
Colomb y laisse 39 hommes et, dès le 16 janvier 1493, remet le cap vers l’Espagne. Le retour est difficile, avec de nombreuses tempêtes. Les marins pensent ne jamais revoir leurs terres natales. Pourtant, le 18 février, ils voient la terre. Ils n’ont aucune idée d’où ils se trouvent – pas de GPS à l’époque. Ils apprennent que ce sont les Açores. Ouf, c’est la bonne route. Un mois de plus et, le 15 mars 1493, c’est le grand retour en Espagne. Il faut imaginer l’effet produit, sur la foule, par ces Indiens qu’on a ramenés, ces perroquets. L’Histoire est en marche. Plus rien ne pourra l’arrêter.

Fils de tisserand, découvreur dans l’âme

Diego Colomb, fils de.
Colomb, lui, sitôt à terre, ne songe qu’à repartir. L’homme est fascinant. Petit-fils de paysan, fils de tisserand, né à Gênes, sans doute, il vient de nulle part et, aujourd’hui, parle aux plus grands. Les Rois catholiques pour commencer, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon. Il a obtenu d’eux des garanties considérables sur ses futures découvertes, un titre de vice-roi, une proportion, importante, sur tout ce qui reviendra des « Indes »…
La fortune l’attend, assurément, et ne comptez pas sur Colomb pour cracher dessus. Question de principe. Pour autant, autre chose que l’argent l’anime. Colomb, en bon homme de la Renaissance qui s’installe, a soif de découverte et d’aventures. Empreint de religiosité, il veut apporter la foi catholique aux Indiens, pense que cela se fera tout seul, sans heurt. Il a surtout en lui un vieux rêve : participer à la libération des Lieux saints, Jérusalem. L’argent du négoce « transatlantique » (appelons cela ainsi) servira à cela. Financer cette nouvelle croisade qu’il appelle de ses vœux. En bon pragmatique qu’il est, il entend aussi assurer l’avenir des siens. Ses frères Bartolomé et Giacomo, ses fistons Diego et Fernando. On le verra, au soir de sa vie, impotent, atteint de goutte et la vue de plus en plus basse, lutter pied à pied, pour faire valoir ses droits.
C’est que, forcément, la roue du destin tourne. En attendant, Colomb repart, avec 17 navires et près de 1500 hommes, le 25 septembre 1493. Il longe la Dominique, puis la Guadeloupe, Saint-Martin, Porto-Rico, avant de remonter vers Haïti et le fort de La Navidad. Il y arrive le 25 novembre… pour y découvrir l’horreur, lui qui avait « vendu » à ses hommes moult merveilles.
Des 39 compagnons laissés moins d’un an plus tôt, il n’en reste aucun. Que des corps en décomposition, le camp en décomposition. Le choc est terrible. Tu parles d’un jardin d’Eden… Les nouveaux venus ont la vengeance à la bouche envers les Indiens qui ont fait cela, le cacique Caonabo en tête. Colomb, lui, se veut conciliant. Son rêve est plus grand que cela.

La Isabela, pour oublier l’échec de la première colonie

Ruines de La Isabela, en République dominicaine.
En janvier 1494, il fonde La Isabela un peu plus loin, près de l’actuelle Puerto Plata, en République dominicaine. Puis, en s’enfonçant dans l’intérieur des terres, un troisième fort, Saint-Thomas. Colomb poursuit quant à lui ses explorations maritimes – Jamaïque, puis Cuba. Il ne revient à La Isabela qu’en septembre. Pour y découvrir qu’en son absence on y a mené la belle vie. Des choses pas forcément jolies-jolies avec des Indiennes… Forcément, cela crée des tensions avec les autochtones.
Colomb tente de reprendre la main. C’est difficile, d’autant que le site choisi pour l’implantation n’est pas franchement idéal. Rajoutez un petit séisme sur tout ça et comprenez que le brave Colomb y use sa santé (mais pas trop son moral, à toute épreuve). Il renvoie les fauteurs de troubles en Espagne, tandis qu’il s’échine à remettre la colonie d’aplomb. C’est une grave erreur : en Espagne, où tout se joue, ses ennemis s’en donnent à cœur joie contre lui. Calomniez, calomniez, il en restera bien quelque chose…
Le 11 juin 1496, Colomb est finalement de retour en Espagne, avec Caonabo prisonnier avec lui. Son frère Bartolomé le remplace, sans plus de succès, à La Isabela. Colomb met presque deux ans avant de pouvoir repartir, pour un troisième voyage. Il prend le large le 30 mai 1498, passe par Madère, puis file au sud, jusqu’au Cap Vert, avant de remonter par les côtes du Venezuela et du Panama pour, enfin, revenir à La Isabela. Nous sommes le 31 août 1498, et il est plus que temps. Le frérot galère face aux Indiens révoltés – le temps où ils pensaient avoir affaire à des dieux est déjà loin ! – et face aux insurrections des espagnols eux-mêmes, menées par Francisco Roldan.

Colomb mis aux fers et renvoyés en Espagne
Et le vainqueur est... Amerigo Vespucci.

Le grand-œuvre de Colomb commence largement à lui échapper. Sa colonie est un désastre, l’or n’est pas franchement au rendez-vous – pas autant qu’il le voudrait -, les cabales contre lui se multiplient en Espagne et bon nombre de ses anciens compagnons parcourent les mers à la découverte de nouvelles terres. C’est le cas d’un certain Amerigo Vespucci, par exemple, qui flirte avec le Honduras et le Yucatan dès 1497-1498.
A la fin de l’année 1500, les Rois catholiques envoient sur place Francisco Bobadilla avec la charge de gouverneur, ayant pouvoir sur tous. Tous… y compris Colomb. Le désaveu est terrible. Les trois frères Colomb sont bientôt arrêtés, mis aux fers, et renvoyés en Espagne.
Infatigable, Colomb parvient à faire (un peu) valoir ses droits. Il est libéré et repart, en mai 1502, pour un quatrième, et ultime voyage. Après la route habituelle des Antilles, il longe le Honduras en août et septembre. Les Indiens aperçus à cette occasion semblent d’une tout autre trempe que ceux des îles. Plus riches, mieux vêtus.

D'échecs en échecs pour son ultime voyage

En janvier 1503, c’est le Nicaragua et la Costa Rica. Colomb y fonde la colonie de Belen, sur la côté de Veragua. Les autochtones résistent. Les combats sont durs. Les massacres sanglants. Colomb mate tout ça, - colmate plutôt - et repart. La suite n’est qu’une succession de galères. Des tempêtes en veux-tu en voilà, des Indiens pas commodes. Colomb, ballotté par ces coups du sort successifs, est tel un boxeur presque KO. Il va d’îles en îles, malade en plus, sans plus beaucoup de prise sur les événements. Sans ressource, il revient en Espagne le 7 novembre 1594. Pour ne plus en repartir, passant les dix-huit qui lui restent à vivre à tenter de faire valoir ses droits. Le vieux marin, à défaut de pouvoir continuer à arpenter les océans, se bat à coups de lettres et de suppliques. Il meurt le 20 mai 1506, à 55 ans.

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Christophe Colomb, par Marie-France Schmidt
Christophe Colomb, la découverte de l'Amérique, journal de bord

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