02 avril 2012

"La Sainte Anne, l'ultime chef-d'oeuvre de Léonard de Vinci": histoire et restauration d'un tableau mythique

L'éclat du bleu, la transparence du rouge... Après trois longues années de restauration, la Sainte Anne de Léonard de Vinci a retrouvé ses couleurs d'origine. Et le Louvre, pas peu fier, en profite pour exposer cet "ultime chef-d'oeuvre" du grand maître. Ultime car, commencé vers 1500, ce tableau, à la mort de Vinci, en 1519, n'était toujours pas achevé. On ne sait qui était le commanditaire, ni même s'il y en avait vraiment un, mais on espère dans tous les cas que Vinci n'était pas soumis à des pénalités de retard. Le brave Léonard était en effet connu pour mettre beaucoup de temps à finir ses oeuvres. Elles n'étaient jamais assez bien, avec toujours un détail à corriger ici, le pli d'une robe, ou le contour d'un visage, la forme d'un doigt...
Ce n'est pas nous, cinq cents ans plus tard, qui allons nous en plaindre. On imagine même, avec un petit sourire pervers, les crises de nerf de ses mécènes, qui jamais ne voyaient venir leurs commandes. Tant pis pour eux. Et tant mieux pour nous qui avons donc là, sur ces quasi vingt ans s'écoulant entre le début de la réflexion sur le tableau et les ultimes coups de pinceaux donnés, l'occasion de voir Vinci à l'oeuvre. Sa réflexion sur son travail, ses tâtonnements et ses revirements.
Le Louvre, dans son exposition, ne nous épargne rien de ses interrogations. Vinci veut composer une sainte Anne trinitaire - c'est-à-dire la mère, Anne, la fille, Marie et son enfant Jésus - c'est une chose entendue. Mais, pour représenter le destin de l'enfant, doit-il faire apparaître saint Jean-Baptiste ou plutôt un agneau? De même, pour donner une dynamique à son tableau, doit-il proposer une diagonale tombant vers la droite, ou vers la gauche? Il choisira finalement l'agneau, symbole du sacrifice, et optera pour une diagonale descendant de la gauche vers la droite. Les différentes options ont néanmoins été longuement envisagées, ainsi que des dizaines de dessins et d'esquisses, réalisés de sa main, en témoignent. On peut aussi admirer des tableaux peints par ses élèves, venant figer les états intermédiaires de l'avancée du travail, et permettant au maître, grandeur nature, de se rendre compte des améliorations à apporter. Les oeuvres de Bernardino Lanino ou d'Andrea Bianchi sont ainsi exposées.
Un avant-après saisissant
On piaffe parfois d'impatience devant ces tableaux "mineurs" qui passent sous nos yeux. C'est là Sainte Anne, la vraie, que l'on veut voir. On sait qu'elle est là, tout près, mais on n'ose pas avancer plus vite. De peur de passer à côté de quelque chose d'essentiel. C'est peu dire, pourtant, si la succession de croquis de la tête de sainte Anne, avec ou sans tresses, avec ou sans coiffe, est un poil rébarbatif. On se motive en se disant que c'est de la main du maître, et que ce n'est pas rien. Mais on souffre quand même. D'autant qu'on a droit, aussi, aux essais sur la jambe droite de l'enfant Jésus, sur son buste, sa tête, son pied, ses doigts. Sur les plis du manteau de la Vierge, et même jusqu'aux formes des rochers, figurant en arrière-plan du tableau final, ou au mouvement de l'eau qui cascade au loin, également.
Vinci avait une obsession du détail. C'en est la preuve éclatante, et c'est tout le mérite du Louvre que de l'exposer. C'est parfois juste un peu trop technique pour moi (et j'ai donc la faiblesse de croire que pour d'autres aussi): on apprend ainsi que trois cartons, en tout, ont été réalisés pour cette Sainte Anne. Je fais mon hochement de tête le plus sérieux, avec moue adéquate, en lisant cette information. Puis passe à autre chose, un autre croquis, un autre schéma préparatoire.
Ce n'est que plus tard, dans une salle où est projetée une courte vidéo de quatre minutes, que je comprends enfin le principe des cartons (pardonnez-moi d'être con). En clair, après avoir dessiné l'oeuvre sur ce fameux carton, on y fait de multiples trous, en suivant les contours des personnages et des paysages. On transpose ensuite le tout sur le tableau, et remplit les trous avec une pierre noire - en gros, on décalque. Les silhouettes sont figées sur le bois, et il n'y a plus qu'à peindre.
Si j'avais connu l'existence de cette vidéo en arrivant, je crois que je m'y serais précipité avant toute chose. Quitte à ne pas respecter le parcours prévu par l'exposition. Ce que j'aurais perdu en aller-retour dans les salles, je l'aurais gagné en compréhension. C'est ce que je vous encourage à faire. Car, en plus de ces questions techniques, cette vidéo, très didactique, permet de comprendre les enjeux de la restauration du tableau. A mon sens à voir en introduction de la visite, plutôt qu'en conclusion.
Pour le reste, la Sainte Anne restaurée est magnifique. La composition, la douceur des visages et, maintenant, la beauté des couleurs: tout y est parfait.
Dernier conseil, encore: ne surtout pas négliger la fin de l'exposition. On n'en comprend certes pas bien le sens, de prime abord, car on est avant-tout venu pour la Sainte Anne, et que l'on a donc tendance à se dire que la visite est terminée après l'avoir vue. Pour autant, en allant trop vite dans les dernières salles, on prend le risque de passer à côté de quelques chefs-d'oeuvre rares - et à voir la foule, qui se fait moins dense, beaucoup font apparemment cette erreur... C'est dommage car le Jean Baptiste de Léonard de Vinci se trouve ici - celui avec son doigt en l'air (et non, je n'ai pas regardé que le doigt), de même que la Sainte Famille à l'agneau de Raphaël, et quelques Michel-Ange.

La Sainte Anne, l'ultime chef-d'oeuvre de Léonard de Vinci
Musée du Louvre, Paris
Jusqu'au 25 juin 2012

2 commentaires:

Ada a dit…

Mais quel suspens haletant !
Tu sais que j'ai pensé à toi en voyant les affiches dans le métro

Jean-Noël Caussil a dit…

C'est trop d'honneur que tu me fais là. Vraiment trop.